mercredi 12 janvier 2011

Loin des yeux, loin du cortex ; ce que la cécité corticale révèle sur la conscience.

D’une certaine façon, tout le monde sait que nos pensées sont liées à notre cerveau. Nous disons des choses comme "Faites travailler vos méninges!" pour encourager les gens à réfléchir, ou encore, "Creusez-vous la tête?" dans le but de faire réfléchir un ami. Pendant que nous tenons pour acquis que nos pensées - notre conscience - est un produit de notre cerveau, des siècles de preuves scientifiques ont été recueillis avant que cette idée ait fait son chemin dans notre langage quotidien. L'une des manifestations les plus fascinantes du principe que notre cerveau génère notre expérience consciente vient des frontières de la neuropsychologie, avec un curieux syndrome appelé la vision aveugle (blindsight).

La vision aveugle est un phénomène étrange - un oxymore! Assurément, il ne peut y avoir une telle chose comme la vision aveugle. Comment un individu peut-il voir et être aveugle en même temps?

Fait remarquable, un tel phénomène existe chez des personnes qui sont corticalement aveugles. Cette forme de cécité survient lorsqu'il y a des lésions tissulaires dans la zone principale visuelle du cerveau (le cortex visuel primaire ou l’aire V1). L’aire V1 est située complètement vers l'arrière du cerveau et c’est l’endroit de prédilection pour la vision. Alors que nos yeux reçoivent des signaux lumineux du monde qui nous entoure, l’aire V1 interprète ces signaux pour produire ce que nous ressentons comme la vision. Les personnes atteintes de cécité corticale ont un fonctionnement normal des yeux, mais leur aire V1 est endommagée. Depuis maintenant un siècle, les médecins connaissent la cécité corticale, mais ils ont supposé que c’était dû à la même incapacité visuelle comme la cécité ordinaire - l'incapacité à voir. Toutefois, il y a environ 35 ans, on a découvert que le cortex des patients aveugles est capables de faire des choses que les personnes aveugles ne peuvent pas faire habituellement. Dans les années 1970, des études soigneusement conçues ont révélé que le cortex des patients aveugles est en mesure d'indiquer l'emplacement d'objets et de distinguer différentes formes, tout en prétendant qu'ils ne pouvaient pas voir les objets qu'ils ont localisé ou les formes qu'ils ont discriminé ! À l'époque, la découverte a transformé la façon dont les scientifiques interprétaient la vision et a généré beaucoup de spéculations sur la nature de la conscience.

Pourquoi la conscience?

La vision aveugle nous dit quelque chose sur la conscience parce que le syndrome a révélé que les patients corticalement aveugles ne sont pas vraiment aveugles, ils ne sont simplement pas conscients de ce qu'ils voient.

Nous savons maintenant que la vision est le produit de l'effort concerté de nombreux réseaux cérébraux différents, chacun spécialisé dans un aspect particulier de notre expérience visuelle. Comme une machine, le cerveau a de nombreux fils différents qui relient les différentes régions du cerveau. Ces fils – les cellules du cerveau qu’on appelle les neurones - transmettent l’information qui régie nos états mentaux et nos comportements. Dans l’aire V1, certains de ces réseaux sont spécialisés dans la reconnaissance des visages, d'autres se spécialisent dans la reconnaissance des couleurs et d'autres servent à interpréter les lignes et les courbes qui forment les objets familiers.

À un niveau plus fondamental, les voies visuelles du cerveau se composent de deux réseaux principaux: une voie qui relie nos yeux à l’aire V1 et une deuxième voie qui relie nos yeux à une région du cerveau qui contrôle notre capacité à se déplacer. La première voie est fondamentale pour notre expérience visuelle et nous permet de voir la grande richesse de détails dans notre environnement. La deuxième voie est plus primitive et nous permet de répondre par réflexe à des mouvements brusques avant même que nous sommes pleinement conscients de ce que nous avons vu. Cette seconde voie contourne complètement l’aire V1 et elle a un rôle moteur plutôt qu'un rôle visuel. Il vous permet de réagir en réponse à quelque chose qui se dirige dans votre direction, même si vous n'êtes pas au courant du projectile. Il aide également à diriger votre regard vers quelque chose d'important, comme une voiture en mouvement.

Avec la vision aveugle, la voie responsable de l'expérience visuelle est endommagée, mais la deuxième voie qui coordonne le mouvement en réponse aux objets de notre environnement demeure intacte. Ainsi, les personnes atteintes de vision aveugle ne peuvent pas voir, mais ils peuvent avoir un réflexe suite à un mouvement brusque. La capacité de ces personnes à détecter l'emplacement des objets est due à la voie motrice, et ce, même si nos voies visuelles sont perturbées.

La vision aveugle fournit la preuve que le cerveau est responsable de notre conscience parce que les dommages aux tissus du cerveau de l’aire V1 diminuent la perception visuelle. Les personnes atteintes de vision aveugle peuvent encore gérer ce qu'ils voient de façon importante - ils peuvent identifier l'emplacement des objets, éviter les obstacles sur leur chemin et diriger leur regard vers des objets en mouvement. Ce qui leur manque, c'est la conscience des objets qu'ils localisent et des obstacles qu’ils évitent - c'est leur conscience visuelle qui est compromise suite à la destruction de l’aire V1. Si ces lésions cérébrales de l’aire V1 détruit la conscience visuelle, alors l’aire V1 doit être cruciale pour une telle conscience.


Levi Riven

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